INTERVIEW CROISÉE
NICOLAS URIEL
Cela fait 15 ans au mois de septembre que je suis chef de cave Thiénot et responsable des relations partenaires pour les maisons de champagne Thiénot et Canard-Duchêne.
PATRICK MARTIN
Je suis arrivé chez Joseph Perrier il y a 40 ans. Depuis 2000 mon périmètre s’est élargi à l’ensemble du vignoble. Je vis à Verneuil mais parcours régulièrement près de 115 km pour vérifier la santé des vignes sur toutes nos parcelles.
Comment se prépare-t-on aux vendanges ?
Patrick Martin : Je prépare les plannings d’intervention dans les parcelles en fonction de la maturité des raisins en procédant secteur par secteur. Il faut également réserver les camions qui transportent les caisses de raisin ainsi qu’une fourgonnette réfrigérée qui contient des casse-croutes et des boissons fraiches pour les vendangeurs. Il faut aussi préparer l’arrivée des 110 polonais qui viennent faire la vendange. Ils seront installés dans des appartements actuellement en rénovation. [ndlr] Globalement il s’agit de planification.
Quel est le parcours d’une grappe de raisin lors des vendanges ? (de la cueillette à la vinification en passant par la fin de vie de la rafle, etc.)
Patrick : Le vendangeur coupe la grappe de raisin et la dépose dans un panier à bras qui pèse entre 5 et 6 kg une fois rempli. Ces raisins sont transmis au « porteur » qui les met dans une caisse ayant une capacité de 45 kg. Une fois qu’il a rempli deux caisses, il les achemine jusqu’au tracteur qui se situe près de la route grâce à une brouette. On aide le porteur à charger ces caisses dans la benne du tracteur qui en peut en contenir 24. Elles sont ensuite acheminées jusqu’au camion.
Une fois que la 129ème caisse est chargée dans le camion, le conducteur part au pressoir avec un plan précis connu 48 heures à l’avance.
Quels sont les effets visibles du dérèglement climatique sur les vendanges (récoltes, qualité des raisins, temporalité, etc.) ?
Patrick : Cette année les grappes devraient faire jusqu’à 200 grammes, une récolte exceptionnelle. Il y a 20 ans les grappes faisaient à peine 100 grammes. Le climat cette année a été propice à un bon développement de la vigne. Nous avons eu un hiver sec, un printemps pluvieux puis une alternance entre chaleur et pluie.
Nicolas Uriel : Jusqu’aux années 2010, le réchauffement climatique profitait aux récoltes en Champagne. Les grappes se forment l’année d’avant dans les bourgeons. C’est ce qu’on appelle l’initiation florale. Des températures douces sont favorables à cette initiation florale. Avec le réchauffement climatique on a plus de carbone dans l’air ce qui favorise la photosynthèse et on a plus de chaleur. Les grappes produisent et murissent plus vite et mieux. En 30 ans la date moyenne de premier jour de récolte s’est avancée de 10 à 15 jours. Cette tendance à une maturation en aout est tenace depuis les 10 dernières années.
Quel est le problème d’une récolte plus tôt ?
Nicolas : En fin de maturité il y a une accumulation de sucre dans les baies, une baisse de l’acidité ainsi qu’un enrichissement de tout ce qui est précurseur d’arômes. Comme le gain en sucre se fait souvent plus rapidement que le gain en arômes, on se retrouve avec un raisin prêt à être récolté d’un point de vue richesse en sucres mais immature d’un point de vue aromatique.
Et les maladies ?
Nicolas : Avec les dérèglements ces dernières années (2012, 2017, 2021) on a eu de grosses attaques de Mildiou qui se développe sur les feuilles puis sur les grappes à la faveur de conditions chaudes et humides. La maladie de la flavescence dorée vient de la méditerranée à l’origine et commence à être problématique. Elle est transportée par une cicadelle vectrice qui est maintenant présente dans toute la Champagne.
Patrick : En 2021 on avait eu de beaux raisins sur la parcelle bio jusqu’au début du mois de Juillet. Dès le 14 juillet le mildiou a tout détruit et on n’a rien récolté sur la parcelle.
Humainement, comment se déroulent les vendanges ?
Patrick : Il y a une très bonne ambiance avec tout le personnel de chez nous et les Polonais. A midi tout le monde mange ensemble à Cumières ou pic-nique dans les vignes à 130 personnes. On fait également un discours de sensibilisation sur les consommations d’alcool au début et pendant les vendanges. Certains viennent chaque année depuis 35 ans.
