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INTERVIEW CROISÉE

FREDERIC BONNAFFOUS
Je suis arrivé dans la société en 2002 en tant que responsable d’exploitation pour les châteaux Belgrave, Le Boscq et Reysson. A partir de 2007, avec le rachat de Dourthe par la famille Thiénot, s’ajoutent à mon périmètre : Grand Barrail Lamarzelle Figeac et plus tard je prends également la direction des châteaux La Garde, Rahoul, Pey La Tour et Ricaud. Mon travail consiste à prendre les décisions techniques relatives à la production du vin.

STEPHAN ASSEO
Je me définirais comme un vigneron. Je suis viticulteur avant d’être wine maker. Après 18 ans de plaisir et d’apprentissage à Bordeaux, j’avais envie de laisser libre cours à ma créativité et ma passion. Pour cela, je me suis affranchi des codes de l’AOC en m’installant en Californie avec ma femme et nos trois enfants. Hors de l’Europe on a moins de règles en viticulture et vinification et donc plus de libertés.

Quel est l’enjeu principal autour de l’eau dans les chais et sur les propriétés ? 

Frédéric Bonnaffous : Dans nos Châteaux, l’eau sert principalement à nettoyer le matériel de chai et le matériel agricole. C’est d’ailleurs notre poste de consommation principal car il est interdit d’irriguer les vignes dans nos AOC. Nos pics de consommation apparaissent lors des vendanges. A la fin de l’été, la disponibilité de l’eau est indispensable à la préparation du millésime.

Du côté des vignobles, l’absence d’eau est particulièrement préjudiciable sur les jeunes vignes (nous sommes autorisés à les irriguer pendant leurs 3 premières années). L’idéal est un hiver froid mais pluvieux, afin que les nappes phréatiques se rechargent, suivi d’un printemps plus sec et un été sans excès d’eau pour que la vigne subisse une contrainte hydrique. Ces dernières années nous constatons des températures plus douces accompagnées d’excès de précipitations, notamment au printemps, qui exacerbent la pression des maladies comme le mildiou. Les fortes précipitations rendent l’accès à certaines parcelles impossible particulièrement dans les sols argileux. Les sols sableux ou des graves sont plus résilients dans cette configuration cependant, sur des millésimes très secs, la vigne y souffre.

Pour résumer, l’eau dans les vignobles est indispensable mais les évènements climatiques intenses de plus en plus fréquents (humidité, grêle, pluie) impactent négativement notre production.

Stephan Asseo : Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’inverse des régions de France, notre poste de consommation d’eau principal est donc de loin lié à l’irrigation. Pour se donner une idée, en irriguant 1 ha sur l’année, on consomme 20 000L d’eau, ce qui est déjà plus que notre consommation d’eau au chai. De souvenir à Bordeaux, on soutirait les barriques au moins tous les trois mois, ici on le fait deux fois par an tout au plus (séparation des lies dont le processus nécessite une quantité importante d’eau pour nettoyer les barriques). En tout, nous devons consommer autour de 80 mètres cube d’eau, ce qui est conséquent mais reste environ dix fois moins que les viticulteurs de la région qui ont le même sol que nous.

Dans ces différents contextes, comment s’adapter ? 

Frédéric : De manière générale, le meilleur moyen de s’adapter selon moi, c’est de se préparer à des étés secs et des hivers plus doux et humides qu’auparavant.

Sur le terrain, il faut concentrer le vignoble sur les sols moins sensibles aux excès de sec, c’est-à-dire les terres calcaires, argilo-calcaire, argileuse ou avec un sous-sol argileux. Evidemment, l’avantage d’une parcelle à un moment peut être un inconvénient plus tard. Les sols argileux sont difficilement praticables quand ils sont gorgés d’eau. Néanmoins ils sont plus adaptés au dérèglement climatique qui présage des étés plus chauds et plus secs. Il faut également sélectionner les cépages les plus résistants. A Bordeaux, nous avons la chance d’en disposer d’une grande diversité. Alors que le merlot semble particulièrement sensible au mildiou, on pourra le remplacer par du cabernet franc, du cabernet sauvignon ou petit verdot.

Un autre moyen de s’adapter, c’est aussi de privilégier la qualité à la quantité. Afin de concentrer les efforts, on a réduit les surfaces à exploiter dans les endroits où les conditions météorologiques sont les plus compliquées . Pour réduire les couts d’exploitation et éviter la multiplication des traitements, on supprime progressivement les parcelles qui produisent nos troisièmes voire seconds vins. Cette adaptation est possible sur Belgrave qui est un château valorisé. Au contraire sur Pey La Tour par exemple, une bonne production est requise pour assurer le recouvrement des couts d’exploitation.

Les syndicats professionnels sont la clef d’une adaptation à l’échelle des appellations. Pour l’instant, l’axe choisi est celui de l’assouplissement des directives existantes. Beaucoup de règles mises en place dans les années 2010/2011 sont en train d’être amandées. A l’époque, les effets du dérèglement climatique n’étaient pas aussi défavorables et la concurrence moins rude. L’AOC Pessac-Léognan est certainement la plus active sur le sujet. Des discussions ont été entamées sur la diminution de la densité par hectare imposée. L’introduction de nouveaux cépages fait également partie des discussions même si la filière reste prudente.

Stephan : A l’échelle de l’Etat, des arbitrages devront être faits. En Californie, certains territoires ne pourraient plus cultiver de vignes sans irrigation. Je pense que certains terroirs continueront à faire du bon vin et d’autres disparaitront.

Depuis des années déjà, nous avons déployé plusieurs actions pour minimiser notre dépendance à l’eau : goutte à goutte, capteurs d’humidité, consultants experts, voilages pour protéger les vignes. Tous ces investissements nous permettent d’avoir une gestion préventive.

Certaines techniques de viticulture sont aussi précieuses pour économiser les ressources. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, travailler le sol permet une évaporation plus homogène et contrôlée. Quand on ne le travaille pas, l’eau s’évapore deux fois plus vite.

Au-delà des techniques de diminution de la consommation, il va falloir prendre des décisions plus stratégiques, notamment sur la sélection des cépages. A priori, les Merlot vont perdre leur finesse sous les effets du dérèglement climatique.

Même lorsque nous aurons moins d’accès à l’eau, nous pourrons continuer à produire du vin. Pas tout le monde, pas partout, mais ce sera possible. En revanche, les activités maraichères en plein sol seront les premières touchées car énormément consommatrices et dépendantes de l’eau. On peut imaginer qu’avec moins d’eau, les rendements vont en pâtir mais le style va s’accentuer. N’oublions pas que la vigne constitue un matériel végétal plutôt résistant et rustique.

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